Le droit des successions au Bénin repose sur un principe cardinal : l’égalité entre héritiers. Ce principe, consacré par le Code des Personnes et de la Famille (CPF), vise à garantir une répartition équitable des biens du défunt entre ses héritiers, sans distinction de sexe, d’âge ou de filiation.

Toutefois, le législateur béninois a introduit une exception à ce principe par le biais de l’attribution préférentielle (article 782 du CPF). Ce mécanisme permet à un héritier ou au conjoint survivant de demander l’attribution d’un bien immobilier ou d’une entreprise familiale, même en cas d’opposition des cohéritiers.

Dès lors, une question essentielle se pose : l’attribution préférentielle remet-elle en cause le principe fondamental d’égalité successorale ? Cet article analyse l’opposition entre ces deux notions et les risques de rupture d’équité qu’elle peut engendrer dans les successions béninoises.

I. L’ATTRIBUTION PRÉFÉRENTIELLE EN DROIT BÉNINOIS : UNE DÉROGATION LÉGALE

  1. Une exception au principe d’égalité successorale

Le Code des Personnes et de la Famille, dans ses articles 619 à 623, consacre l’égalité successorale en établissant que :
• Tous les enfants, quelle que soit leur filiation, ont les mêmes droits successoraux (article 620 CPF).
• Les héritiers succèdent par parts égales et par tête lorsqu’ils sont au même degré (article 619 CPF).

Cependant, l’article 782 du CPF introduit une exception en permettant à un héritier ou au conjoint survivant de demander l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ou d’une entreprise, à condition que :
• L’héritier bénéficiaire occupait effectivement le bien ou exploitait l’entreprise au moment du décès.
• L’attribution ne cause pas un préjudice disproportionné aux autres cohéritiers.

  1. Un mécanisme souvent source de conflits familiaux

Si l’objectif de l’attribution préférentielle est de préserver la stabilité économique et sociale d’un héritier, elle est souvent perçue comme une source d’iniquité successorale. Dans de nombreuses successions, elle :
• Favorise un héritier au détriment des autres, créant des tensions familiales.
• Peut être utilisée comme un instrument d’accaparement des biens successoraux par certains héritiers influents.
• Affaiblit les droits des cohéritiers en les privant d’une part égale dans l’héritage.

II. L’OPPOSITION ENTRE ATTRIBUTION PRÉFÉRENTIELLE ET ÉGALITÉ SUCCESSORALE

  1. Une distorsion économique au détriment des cohéritiers

L’attribution préférentielle a pour effet de conférer un avantage économique certain au bénéficiaire, qui reçoit :
• Un bien à forte valorisation patrimoniale (immeuble, entreprise).
• Un actif susceptible de générer des revenus (loyers, exploitation commerciale).

En revanche, les autres héritiers, souvent contraints d’accepter une compensation financière incertaine, se retrouvent désavantagés :
• La valeur des biens attribués peut être sous-estimée.
• Les héritiers recevant des liquidités subissent l’érosion monétaire et les aléas du marché.

En d’autres termes, l’attribution préférentielle crée une rupture structurelle entre les héritiers : l’un obtient un bien qui prend de la valeur et génère des revenus, tandis que les autres reçoivent une somme fixe qui perd de la valeur avec le temps.

  1. Un risque de spoliation des autres héritiers

En pratique, certains héritiers utilisent l’attribution préférentielle pour accaparer des biens successoraux en excluant les autres cohéritiers du patrimoine familial. Les risques sont multiples :
• Manipulation des expertises immobilières pour sous-évaluer un bien et éviter de verser une soulte équitable.
• Dissimulation d’informations successorales pour empêcher les autres héritiers de contester l’attribution.
• Influence sur les juridictions pour obtenir des décisions favorisant l’attribution préférentielle au détriment du partage égalitaire.

Ce type de pratiques constitue une menace pour l’égalité successorale, car elle prive certains héritiers de leur droit légitime à un partage équitable du patrimoine.

III. LA LICITATION : UNE SOLUTION POUR PRÉSERVER L’ÉQUITÉ SUCCESSORALE

Face aux risques de rupture d’égalité engendrés par l’attribution préférentielle, la licitation apparaît comme une alternative garantissant un partage juste et transparent des biens successoraux.

  1. Le principe de la licitation en droit béninois

La licitation consiste à vendre les biens successoraux et à répartir le produit de la vente entre les héritiers, selon leur part légale. Ce mécanisme garantit que :
• Chaque héritier reçoit une compensation équivalente, sans distorsion économique.
• Aucun héritier ne bénéficie d’un avantage indu au détriment des autres.
• Le partage successoral reste conforme aux principes d’égalité et de justice.

  1. Les avantages concrets de la licitation
    • Transparence dans l’évaluation des biens : La vente garantit que chaque héritier reçoive une valeur réelle et objective de sa part successorale.
    • Éviction des conflits familiaux : En supprimant l’attribution préférentielle, la licitation empêche les tensions liées aux déséquilibres patrimoniaux.
    • Préservation de l’égalité successorale : Chaque héritier reçoit une part proportionnelle et monétaire, sans inégalité de valorisation des actifs.

CONCLUSION : UNE NÉCESSITÉ DE RÉFORME OU UNE APPLICATION STRICTE DU DROIT ?

L’attribution préférentielle, bien que légale, remet en cause l’un des fondements du droit successoral béninois : l’égalité entre héritiers.
• Si elle est accordée sans contrôle rigoureux, elle peut devenir un outil d’accaparement des biens successoraux.
• Elle favorise les héritiers les plus influents, au détriment des cohéritiers moins bien informés ou financièrement vulnérables.

Dans cette perspective, deux solutions s’imposent :
1. Une application stricte des conditions de l’attribution préférentielle : s’assurer que les bénéficiaires remplissent réellement les critères légaux, et que les autres héritiers ne soient pas lésés.
2. Un recours systématique à la licitation lorsque l’attribution préférentielle compromet l’égalité successorale.

En définitive, le droit successoral béninois ne doit pas seulement être un cadre juridique, mais un garant de justice patrimoniale pour tous les héritiers.

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