
Dans sa décision DCC 23-259 du 7 décembre 2023, la Cour Constitutionnelle du Bénin s’est prononcée sur la constitutionnalité de l’article 588, alinéa 3 du CPCCSAC, qui régit le traitement des exceptions et des fins de non-recevoir devant le juge de l’exécution. L’enjeu central de cette affaire était de déterminer si cette disposition, qui impose que les exceptions soient jugées en même temps que le fond, pouvait restreindre l’effet suspensif automatique de l’exception d’inconstitutionnalité, garanti par l’article 122 de la Constitution.
La Cour a adopté une position d’interprétation corrective en validant l’article 588, tout en précisant qu’il ne s’applique pas aux exceptions d’inconstitutionnalité, qui continuent de relever du régime spécial de sursis à statuer prévu par l’article 201 du CPCCSAC. Cette analyse examine la portée de cette décision en trois étapes : la finalité de l’article 588 devant le juge de l’exécution, l’interprétation adoptée par la Cour et ses conséquences pratiques sur la procédure d’exécution et le contrôle de constitutionnalité.
L’article 588 et la rationalisation du traitement des exceptions devant le juge de l’exécution
L’exécution des décisions de justice est un enjeu majeur de l’efficacité judiciaire. Le juge de l’exécution a pour mission d’assurer la mise en œuvre des jugements et de statuer sur les contestations relatives à cette exécution, notamment en matière de saisies et de recouvrement forcé.
L’article 588, alinéa 3 du CPCCSAC établit un principe de jonction entre les exceptions et le fond de l’affaire, en disposant que les exceptions et fins de non-recevoir doivent être jugées en même temps que le fond. Cette règle a été introduite pour empêcher les débiteurs d’entraver l’exécution des décisions en multipliant des exceptions dilatoires, retardant ainsi artificiellement l’exécution.
Ainsi, cette disposition :
✅ Impose un traitement simultané des exceptions et du fond pour accélérer l’exécution des décisions.
✅ Réduit le risque d’obstruction procédurale en évitant des recours successifs qui ralentiraient l’application des jugements.
Cependant, cette logique de célérité judiciaire entre en conflit avec l’exception d’inconstitutionnalité, qui, en vertu de l’article 122 de la Constitution, entraîne de plein droit un sursis à statuer dès qu’elle est soulevée devant une juridiction. Si l’article 588 était appliqué sans distinction, le juge de l’exécution pourrait être amené à examiner une exception d’inconstitutionnalité en même temps que le fond, remettant en cause son effet suspensif automatique et vidant ainsi de sa substance le contrôle de constitutionnalité a posteriori.
L’interprétation de la Cour Constitutionnelle : validation sous réserve de l’application stricte de l’article 201 du CPCCSAC
Dans sa décision DCC 23-259, la Cour Constitutionnelle a pris une position d’équilibre, refusant d’annuler l’article 588 mais en précisant qu’il ne s’applique pas aux exceptions d’inconstitutionnalité.
La Cour justifie cette distinction en s’appuyant sur l’article 201 du CPCCSAC, qui régit spécifiquement la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité et prévoit que :
• Tout juge saisi d’une exception d’inconstitutionnalité doit immédiatement transmettre la question à la Cour Constitutionnelle.
• L’examen du litige est suspendu jusqu’à ce que la Cour rende sa décision.
En conséquence, la Cour établit que l’article 588 ne remet pas en cause ces règles et que, par conséquent, le juge de l’exécution est tenu de surseoir à statuer en cas d’exception d’inconstitutionnalité, même si d’autres exceptions doivent être examinées avec le fond.
Cette décision permet donc de :
❌ Éviter une application abusive de l’article 588 qui priverait l’exception d’inconstitutionnalité de son effet suspensif.
✅ Maintenir la protection constitutionnelle tout en laissant l’article 588 s’appliquer aux exceptions de droit commun.
La Cour a donc opté pour une validation encadrée, qui clarifie que les règles de l’exception d’inconstitutionnalité restent intactes et prévalent sur l’article 588.
Les conséquences pratiques de la décision sur l’exécution des jugements et le contrôle de constitutionnalité
L’arrêt DCC 23-259 apporte une réponse équilibrée aux tensions entre l’efficacité des décisions de justice et la protection du contrôle constitutionnel. Cette clarification produit des effets immédiats dans la pratique judiciaire.
D’une part, les procédures d’exécution forcée sont renforcées car les créanciers bénéficient désormais d’une règle claire empêchant les débiteurs d’invoquer des exceptions successives pour retarder l’exécution d’une décision définitive.
✅ Le juge de l’exécution pourra trancher plus rapidement les contestations ordinaires, sauf en présence d’une exception d’inconstitutionnalité.
✅ L’exécution des décisions de justice devient plus fluide, puisque les obstacles procéduraux ne peuvent plus être utilisés de manière abusive.
D’autre part, la primauté du contrôle constitutionnel est réaffirmée, garantissant aux justiciables un droit effectif à contester une loi sur la base de son éventuelle contrariété à la Constitution.
✅ Dès qu’une exception d’inconstitutionnalité est soulevée, le juge doit surseoir immédiatement et ne peut pas appliquer l’article 588 pour retarder ou contourner ce mécanisme.
✅ Le sursis automatique demeure un principe fondamental, empêchant une exécution qui pourrait se révéler contraire à la Constitution.
Toutefois, cette décision n’élimine pas complètement les risques d’interprétation divergente par les juges de l’exécution. Certains pourraient négliger la distinction opérée par la Cour et continuer à appliquer l’article 588 aux exceptions d’inconstitutionnalité. Pour éviter de telles dérives, un suivi jurisprudentiel rigoureux sera nécessaire afin d’assurer une application uniforme de cette clarification.
Conclusion : Une validation encadrée pour préserver l’équilibre entre exécution et contrôle constitutionnel
Dans sa décision DCC 23-259, la Cour Constitutionnelle du Bénin a évité une confrontation frontale avec le législateur en validant l’article 588 du CPCCSAC, tout en affirmant qu’il ne s’applique pas aux exceptions d’inconstitutionnalité. Ce faisant, elle préserve à la fois la célérité des procédures d’exécution et la garantie du contrôle constitutionnel.
Cette approche permet de :
• Sécuriser l’exécution des décisions de justice, en empêchant des stratégies dilatoires abusives.
• Conserver l’effectivité de l’exception d’inconstitutionnalité, en garantissant que son sursis automatique reste une obligation pour toutes les juridictions.
Toutefois, cette solution repose sur une interprétation stricte et rigoureuse de la distinction opérée entre l’article 588 et l’article 201 du CPCCSAC. Toute mauvaise application de cette décision pourrait affaiblir le contrôle constitutionnel ou, à l’inverse, ralentir l’exécution des décisions de justice. Il sera donc essentiel de veiller à une mise en œuvre cohérente de cette jurisprudence dans les décisions à venir.
Timothée YABIT
Avocat